L’architecture chinoise s’appuie sur un héritage millénaire où la philosophie, la symbolique et la technicité des constructions jouent un rôle fondamental. Des palais impériaux comme la Cité interdite aux écrits anciens tels que le Yingzao Fashi, ce patrimoine continue d'influencer l’architecture contemporaine.
L’architecte Liu Jiakun, lauréat du Prix Pritzker 2025, incarne cette fusion entre tradition et modernité. En s’inspirant des principes de l’architecture chinoise traditionnelle tout en intégrant des solutions durables et innovantes, il redéfinit le paysage urbain de la Chine contemporaine. Cet article offre un petit aperçu sur le travail du lauréat du Pritzker 2025 et son lien avec l’architecture chinoise dans sa globalité.
L’Influence de la Cité Interdite et du Yingzao Fashi dans l’Architecture Moderne
La Cité Interdite : Un Modèle d’Harmonie Architecturale
Construite sous la dynastie Ming au début du XVe siècle, la Cité interdite est l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture chinoise. Conçue selon les principes du feng shui et du li, elle illustre l’importance de l’harmonie entre les bâtiments, leur orientation et leur intégration dans l’environnement. Son plan orthogonal suit une stricte hiérarchie spatiale, avec un axe central qui structure l’ensemble des bâtiments. L’utilisation du bois en charpente, des tuiles vernissées jaunes et des soubassements en pierre illustre une typologie constructive encore étudiée aujourd’hui.
Les matériaux et les techniques traditionnels employés, tels que les assemblages dougong (systèmes de consoles en bois) et les toitures à larges débords, favorisent la flexibilité structurelle et la résistance aux séismes. Ces principes influencent encore les constructions contemporaines, notamment dans la gestion de l’espace et l’intégration du bâti dans son environnement.
Le Yingzao Fashi : Un Traité d’Ingénierie toujours d’Actualité
Le Yingzao Fashi, rédigé en 1103 sous la dynastie Song par Li Jie, est l’un des premiers traités d’architecture et d’ingénierie en Chine. Il codifie avec précision les proportions, les techniques de construction et l'utilisation des matériaux, permettant ainsi une standardisation des pratiques architecturales. On retrouve notamment quelques thématiques clés au sein de cet ouvrage :
- L’usage des modules de construction : il définit des dimensions types pour les bâtiments en fonction de leur usage.
- Les techniques d’assemblage : l’emploi des charpentes dougong et des joints en bois sans clou ni vis, permettant une meilleure résistance aux séismes.
- L’optimisation des ressources : la sélection de matériaux locaux pour chaque région, un principe qui résonne avec les préoccupations environnementales contemporaines.
Ces notions trouvent un écho dans l’architecture actuelle, où l’utilisation de matériaux biosourcés et les principes de construction modulaire sont des solutions clés pour des nouvelles constructions durables.
Liu Jiakun : Un Architecte au Cœur du Dialogue entre Tradition et Innovation
Liu Jiakun, basé à Chengdu, est reconnu pour sa capacité à intégrer l’héritage architectural chinois dans des projets innovants et respectueux de l’environnement. À travers des réalisations emblématiques comme le West Village ou le Museum of Contemporary Art de Yinchuan, il démontre que la modernité ne doit pas s’opposer à la tradition, mais s’en inspirer.
West Village, Liu Jakun, Chengdu China
Matériaux et Techniques : Un Retour aux Sources pour un Développement Durable
Liu Jiakun privilégie l’utilisation de matériaux locaux, tels que la brique, la pierre et le bois, pour limiter l’empreinte carbone des constructions et ancrer ses bâtiments dans leur contexte régional. Il reprend aussi des techniques ancestrales adaptées aux défis contemporains :
- Réemploi des structures existantes : dans plusieurs projets, il conserve et adapte des bâtiments anciens, réduisant ainsi le gaspillage de ressources.
- Ventilation et éclairage naturels : il intègre des cours intérieures et des dispositifs de façades inspirés des brise-soleil traditionnels chinois, améliorant ainsi le confort thermique.
- Flexibilité des espaces : reprenant les principes modulaires du Yingzao Fashi, il conçoit des bâtiments capables de s’adapter à des usages évolutifs.
Dans son projet du West Village Chengdu, il applique ces principes en utilisant des briques en terre cuite produites localement et en intégrant des cours végétalisées, réduisant ainsi l’îlot de chaleur urbain, l’un des principaux enjeux des villes contemporaines.
Vers une Architecture Chinoise Contemporaine Ancrée dans son Histoire
L’urbanisation rapide de la Chine a souvent conduit à des architectures génériques, déconnectées du patrimoine local. Liu Jiakun prouve qu’il est possible d’imaginer une nouvelle architecture urbaine adaptée aux besoins d’aujourd’hui notamment grâce à l’usage de matériaux locaux, limitant l’impact écologique et surtout une architecture adaptée au contexte culturel et social dans lequel elle s’ancre. Son travail illustre ainsi une architecture hybride où la mémoire des formes et des techniques anciennes trouve une résonance dans les exigences de durabilité et de fonctionnalité du XXIe siècle.
L’architecture chinoise contemporaine est en pleine mutation, oscillant entre une modernisation rapide et la nécessité de préserver son identité. Son œuvre nous rappelle que l’innovation ne réside pas seulement dans la technologie ou la monumentalité, mais aussi dans une approche sensible et respectueuse de l’histoire et de l’environnement. Liu Jiakun inscrit son travail dans une tradition architecturale millénaire tout en contribuant à la construction d’un futur durable et harmonieux.